Ismaïla Bello, Ardo de Bamé « Aucun camerounais n’est au-dessus de l’autre »
Qui est Ismaila Bello, le Ardo de Bamé

Ismaïl Bello est un Camerounais âgé de 53 ans aujourd’hui, originaire de la Bénoué. Né d’un père dignitaire du canton de Bamé, dans l’arrondissement de Lagdo, et d’une mère originaire de Doumrou dans le Mayo-Kani, dans la région de l’Extrême-Nord. Sa trajectoire personnelle s’inscrit dans une filiation marquée par les valeurs de dignité, d’honneur et de services communautaires.
Chef traditionnel (Ardo) de Bamé depuis décembre 2012, le canton de Bamé est connu pour son ancrage agropastoral, sa tradition d’élevage et son rôle essentiel dans la vie rurale. Il incarne l’autorité morale et la continuité culturelle de sa communauté. Sur le plan professionnel, Ismaïla Bello est ingénieur agronome spécialisé en zootechnie, fort de plus de vingt-cinq ans d’expérience dans l’élevage, la santé animale et le développement rural. Expert en systèmes d’information géographique, en diagnostic sanitaire et en gestion des exploitations d’élevage, il a exercé des responsabilités au Ministère de l’Élevage, des pêches et industries animales, notamment comme chef d’antenne du projet gestion sécurisé des espaces pastoraux (GESEP), responsable administratif et financier du PCP-ACEFA dans l’Adamaoua et chef des services vétérinaires dans plusieurs localités du pays. Consultant, il a accompagné la création de nombreuses fermes laitières et avicoles et piloté des projets majeurs tels que Waynabé Woyla, Maribel et Waldé Woyla. Président de l’Herdbook Montbéliarde Cameroon, puis cofondateur et PDG, depuis 2024, de Sahel Agro Consulting (SAGROCO S.A.), il œuvre à la modernisation et à la professionnalisation des filières animales. Présent sur l’unique liste des candidat de la circonscription de la Bénoué au conseil régional du Nord, pour le compte du commandement traditionnel, il entends continuer à être le porte-parole et défenseur des populations démunies.
Sa Majesté, le processus électoral s’est achevé le 6 novembre dernier avec la prestation de serment du président Paul Biya. Quel est votre sentiment à l’issue de cette élection ?
Je salue et respecte la victoire du Président de la République en tant que démocrate attaché aux valeurs de la République. Dans le même sens je m’aligne au constat immédiat qu’a fait le CHEF DE L’ETAT, qui à l’entame de son discours de prestation de serment a immédiatement fait état des attentes et frustrations des populations. Mon cœur reste donc profondément marqué par ce que j’ai vu et entendu sur le terrain. Car au-delà des chiffres, j’ai vu des regards fatigués, des visages inquiets, des cœurs blessés. Des millions de Camerounais ont voté, oui… mais beaucoup ont aussi crié leur douleur, leur colère, leur sentiment d’injustice. Nul ne peut feindre de ne pas entendre ces voix. Cette élection doit être un point de départ pour écouter et guérir, pas pour triompher. Le peuple souffre. Et un pays qui souffre mérite qu’on s’arrête, qu’on l’écoute, qu’on le respecte.
Êtes-vous militant d’un parti politique ?
Oui, jusqu’à date, j’ai toujours milité en faveur du RDPC. Mais je suis d’abord et avant tout un citoyen qui milite pour une certaine idée de notre pays basée sur la dignité et le respect. Je suis un chef traditionnel, un témoin quotidien de ses souffrances et je dois rester juste, digne, impartial en toute circonstance. Je suis fidèle à notre parti, mais je le suis tout autant envers les plus vulnérables, ceux qui attendent que nous parlions et agissions en leur nom.
Que pensez-vous de la position du RDPC dans la région du Nord ?
Le RDPC est un parti historique qui reste solidement implanté dans le Nord comme partout au Cameroun. Mais ce qui compte aujourd’hui, ce n’est pas son implantation, mais sa mutation et adaptation au contexte et à l’environnement socio-politique du pays. Nous ses militants et sympathisants devons plus qu’a jamais être attentif aux cris silencieux de nos populations, leur fatigue, leur frustration, leurs besoins urgents. La victoire politique ne doit jamais nous faire oublier l’essentiel: les attentes pressantes de nos populations.
Si vous deviez adresser un conseil à nos gouvernants, lequel serait-il ?
Je leur demanderais, avec respect et gravité: Écoutez le peuple et reconnaissez sa souffrance. Gouvernez en fonction des larmes, des frustrations, des humiliations vécues par des millions de Camerounais. Quand un peuple souffre, la priorité n’est plus la victoire, mais la justice.
Il y a quelques jours, vous avez adressé une lettre aux Camerounais. Qu’est-ce qui a motivé cette prise de parole ?
Ce texte est né d’un profond chagrin. J’ai entendu et lu des insultes qui déchirent l’âme, j’ai vu des communautés entières humiliées, j’ai ressenti la blessure de mes frères et sœurs du Grand Nord. Mais aussi des camerounais de diverses origines. Mais j’ai voulu parler des fils et filles du Grand Nord parce que j’ai estimé que je peux mieux leurs parler. En plus, je me sentais personnellement concerné. J’ai écrit parce qu’il est impossible pour un homme d’honneur de rester silencieux lorsque sa dignité est piétinée. J’ai voulu rappeler que derrière chaque mot de mépris, il y a un être humain qui souffre et que c’est une situation dangereuse pour la cohésion sociale nationale.
Doit-on craindre la montée des discours de haine et du tribalisme après l’élection présidentielle du 12 octobre dernier ?
Oui.
Car les mots blessent parfois plus durement que les armes. Ils créent des fractures invisibles mais profondes. Ils ravivent des douleurs anciennes. Ils réveillent des colères que nos populations, dans leur noblesse habituelle, ont souvent choisi de taire. Nous devons tous, ensemble, refuser cette spirale. Le Cameroun vaut mieux que chacun de nous.
Sa Majesté, pensez-vous que la stigmatisation actuelle des ressortissants des régions septentrionales pourrait diviser les communautés de notre pays ?
Évidemment.
Quand on dit à une population déjà éprouvée « rentrez chez vous » à quoi fait-on allusion ? il faut que le laisser-aller cesse. Les pères fondateurs du Cameroun moderne ont fait beaucoup d’efforts pour que nous ayons l’unité de ce pays. Elle est perfectible et nous devons nous y mettre tous sans exception. Aucun camerounais n’est au-dessus de l’autre. Aucune communauté n’a plus de légitimité que d’autres. En jouant avec cette cohésion, on ne touche pas seulement une communauté : on blesse une nation entière. Le Grand Nord a toujours répondu par la retenue et la dignité. Mais la douleur, elle, est réelle. La nation ne tiendra debout que si chacun s’y sent respecté.
Quelle solution de sortie de crise proposez-vous pour apaiser le climat social actuellement tendu au Cameroun ?
Nous avons besoin d’un pacte national du respect. Un pacte où l’on reconnaît les souffrances, où l’on admet la douleur, où l’on regarde les Camerounais non pas comme des statistiques, mais comme des êtres humains blessés. Un pacte où chaque région se sent partie intégrante du pays, sans humiliation ni mépris. Le Cameroun doit retisser son lien moral avec son peuple.
Demain samedi 15 novembre 2025, la campagne électorale pour l’élection des conseillers régionaux sera lancée. Comment va-t-elle se dérouler dans votre circonscription qu’est la Bénoué ?
J’aimerais qu’elle soit digne, apaisée. La Bénoué comme les autres départements Cameroun souffre de ses maux, porte ses attentes et espère des meilleurs lendemains. Et quand des gens souffrent, on ne leurs parlent en conquérant, mais en mendiant. Nous devons donc écouter leurs peines, leurs manques, et leurs colères. La population ne veut plus de belles paroles: elle veut qu’on lui parle avec le cœur, avec vérité, et avec du respect.
Certes le collège électoral à l’occasion des régionales est sélectif et indirect, mais il est constant que ces conseillers municipaux et chefs traditionnels électeurs sont plus que jamais ténus par les exigences de la population qui attend des résultats concret.
Vous êtes candidat sur la liste du commandement traditionnel. Votre liste a-t-elle des concurrents dans la circonscription de la Bénoué ?
Non, nous n’avons pas de concurrents.
Notre liste n’est pas en compétition dans le département de la Bénoué en ce qui concerne le commandement traditionnel. Toutefois, une élection demeure un moment de rencontre entre les électeurs et ceux qui aspirent à la gestion des affaires publiques fussent-elles locales. Nous devons convaincre nos électeurs et à travers eux les populations de notre ferme volonté d’être leurs serviteurs et uniquement leurs serviteurs.
Quelles sont, selon vous, les chances du RDPC dans la circonscription de la Bénoué lors de ce scrutin ?
Bien que ce scrutin soit indirect, aucune élection n’est gagnée d’avance. Les conseillers municipaux qui constituent le collège électoral savent qu’ils portent sur leurs épaules le regard de leurs populations ; ce sont elles qui les ont choisis, ce sont leurs souffrances qu’ils incarnent, et ce sont leurs aspirations qu’ils doivent défendre. Ils voteront selon leur conscience et conformément aux idéaux de leurs partis, mais chacun d’eux sait que derrière son geste, il y a tout un peuple qui espère être entendu et respecté. Il y aura donc véritablement compétition, et le RDPC ne peut compter que sur le travail, l’humilité et surtout la sincérité pour convaincre ; car nos populations ne veulent plus d’automatismes politiques, elles veulent qu’on leur parle avec vérité et qu’on agisse avec loyauté envers leurs réalités.
Quel regard portez-vous sur le processus de décentralisation en cours dans notre pays ?
La décentralisation est une chance pour notre pays, à condition qu’elle devienne enfin un véritable levier de développement local. Elle n’aura de sens que si elle permet aux collectivités locales d’améliorer concrètement les conditions de vie des populations notamment l’accès à l’eau, aux soins, aux routes, à l’éducation et aux opportunités économiques. Aujourd’hui encore, beaucoup de nos collectivités manquent de moyens et d’autonomie pour répondre aux besoins urgents des citoyens. Elle doit être renforcée pour permettre non seulement le rapprochement de l’administration aux citoyens, mais surtout la participation effective des villages, des quartiers, et des communautés au développement.
En tant que citoyen, êtes-vous satisfait du travail accompli par le Conseil régional du Nord ?
Il y a eu des efforts, oui.
En tant que citoyen, je salue ce qui a été engagé, mais nous devons avoir à l’esprit qu’aujourd’hui plus que par le passé, les populations attendent des résultats beaucoup plus concrets. Le contexte social et politique actuel exige efficacité, présence sur le terrain et réponses rapides aux besoins essentiels. Or, les souffrances de nos communautés restent encore visibles et pressantes tant sur plan de la santé, de l’éducation et même de l’accès à l’eau potable qui constituent des besoins de base. Mais les besoins de nos populations sont encore là, fortes, visibles, palpables. Donc, non, nous ne pouvons pas être satisfaits tant que nos frères et sœurs continuent de vivre dans le manque, l’oubli ou le mépris.
En termes de bilan, quelle note attribueriez-vous au bureau exécutif sortant ? Sans complaisance, ni parti pris.
Je n’ai pas la prétention de distribuer des points à celles et ceux qui ont essayé. Mais sans complaisance aucune, je note la souffrance de nos populations, et en tant que chef traditionnel nous avons le privilège de parler auxdites populations et elles nous font savoir qu’il reste beaucoup à faire. Nous devons travailler et avancer avec humilité.
Que proposent les candidats du RDPC dans le cadre de cette élection des conseillers régionaux dans le Nord ?
Stabilité et continuité. Mais j’ajouterai plus d’écoute, plus de proximité, plus d’humanité et surtout plus d’humilité dans la façon de mener les hommes. Le peuple n’attend plus des slogans : il attend que nous soyons proactif et disponible.
Enfin, quel serait votre mot de fin à l’endroit des Camerounais ?
Les Camerounais dans leur immense majorité expriment un besoin profond de dignité, de justice et de considération, car aucune nation ne progresse lorsque certains de ses enfants se sentent marginalisés dans leur identité.
Défendre notre dignité collective, c’est reconnaître la valeur de chaque citoyen, protéger la richesse de notre diversité et lutter fermement contre le tribalisme, en particulier les discours et comportements qui stigmatisent les communautés du Grand Nord ou toute autre région.
Mais la construction d’un Cameroun plus fort repose sur une responsabilité partagée : à l’État d’incarner l’équité, l’écoute sincère et la justice ; aux citoyens de défendre leurs droits dans la paix, le respect des lois et la fidélité aux institutions républicaines. C’est dans cette alliance lucide entre un État juste et un peuple debout, uni dans sa diversité, que se construira un Cameroun plus cohérent, plus crédible et résolument tourné vers l’avenir.
Propos recueillis par
Adolarc Lamissia

