40 ans du RDPC et le Grand-Nord : une histoire d’amour à sens unique ?

Depuis quarante ans, le RDPC a bâti sa longévité politique en s’appuyant, en grande partie, sur le soutien indéfectible du Grand-Nord du Cameroun. Une relation qui, à première vue, évoque une histoire d’amour inconditionnel. Pourtant, derrière les apparences de fidélité électorale et de clientélisme historique se cache un récit complexe, marqué par des promesses non tenues, des frustrations et, peut-être, une trahison silencieuse.
Pendant des décennies, le RDPC a su tirer profit du poids démographique et électoral du Grand-Nord. La région, qui représente près de 30 % de la population nationale, a toujours été perçue comme un bastion inébranlable du parti. Les responsables politiques du RDPC ont, pendant longtemps, distribué un « gâteau national » bien dosé – investissements en infrastructures, nominations stratégiques, accès à certains services publics – pour satisfaire les revendications locales. Dans cette dynamique, le Grand-Nord semblait offrir au parti une garantie de stabilité électorale, en échange d’un soutien sans faille, parfois perçu comme presque automatique.
Pourtant, en dépit de cette alliance historique, force est de constater que la relation entre le RDPC et le Grand-Nord est aujourd’hui bien plus ambivalente. La région, longtemps considérée comme le fief du parti, n’a jamais réellement bénéficié d’une équité dans le partage des richesses étatiques. Tandis que les autres régions, grâce à une meilleure répartition des investissements, affichent des infrastructures modernes et des services publics performants, le Grand-Nord se heurte encore à des routes délabrées, à un accès limité à l’électricité, à des écoles en sous-effectif et à des hôpitaux insuffisants. Cette disparité, perçue comme une injustice institutionnelle, nourrit un sentiment d’abandon et d’incompréhension : comment se fait-il que, malgré son soutien historique, le Grand-Nord continue de subir les affres d’un développement inégal ?
Les 40 ans de RDPC constituent ainsi le miroir d’une relation asymétrique. L’amour à sens unique se transforme en une frustration croissante. La jeunesse du Grand-Nord, en particulier, commence à se réveiller et revendique le fait que ses aspirations sont reléguées au second plan. Les discours qui jadis suffisaient à mobiliser les électeurs se heurtent désormais à une demande pressante de changement et à une exigence de transparence. Les militants et les acteurs locaux, qui avaient accepté de soutenir le parti en échange d’un minimum de reconnaissance, voient aujourd’hui leur confiance ébranlée par des promesses sans suite et par l’absence d’investissements réels dans leur région.
En outre, cette relation complexe a des répercussions profondes sur l’ensemble du paysage politique national. Le RDPC, jadis maître incontesté dans le Grand-Nord, se trouve désormais confronté à la montée de nouveaux acteurs et à une émancipation progressive de l’électorat. Les voix dissidentes, autrefois marginalisées, se font entendre, appelant à une répartition plus équitable des ressources et à une réelle prise en compte des besoins du Grand-Nord. Ainsi, l’histoire d’amour à sens unique qui liait le RDPC à cette région se mue en une histoire de menace de divorce, où les attentes des populations ne trouvent plus d’écho au sein du pouvoir.
Face à ce constat, la question se pose avec acuité : comment le RDPC peut-il reconquérir la confiance d’un Grand-Nord qui a longtemps payé de sa fidélité le prix d’un déséquilibre chronique ? La réponse semble résider dans une refonte totale de la stratégie politique. Il ne s’agit plus seulement de distribuer des avantages de manière clientélistique, mais de repenser la gouvernance en adoptant une approche décentralisée, transparente et participative. Le parti doit investir dans des infrastructures durables, renforcer les services publics et véritablement donner une voix aux acteurs locaux. Une telle démarche permettrait de transformer la relation historique en un partenariat équilibré, où le soutien électoral serait le fruit d’un développement tangible et non d’un amour à sens unique.
Les 40 ans du RDPC représentent à la fois une époque de fidélité historique et le point de bascule d’une relation qui s’est longtemps appuyée sur des fondements inéquitables. Le Grand-Nord, avec son potentiel démographique et électoral, ne peut plus se contenter d’un rôle de spectateur passif dans le partage du gâteau national. Il exige désormais d’être traité en partenaire à part entière dans la construction d’un Cameroun uni et prospère. Le défi pour le RDPC est immense : il doit transformer cette histoire d’amour à sens unique en une véritable relation de partenariat, sous peine de voir s’éroder, irréversiblement, l’un des piliers de sa légitimité politique.

Djafsia Tara Mamoudou

Observateur Septentrion

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