Garoua : A la découverte de l’abattoir des volailles

Garoua : A la découverte de l’abattoir des volailles

Dans la ville de Garoua, l’abattage des poulets est organisé autour d’un abattoir dédié appelé Abattoir des volailles. Cette structure qui évolue dans l’informelle est situé dans la commune de Garoua 2ème. Bien que l’activité des plumeurs ne soit pas organisée, elle demeure du moins une niche d’emploi pour les jeunes scolarisés ou non. En même temps, cette activité rend service aux ménages, hôteliers, tenants de restaurants, dirigeants d’association et autres entité demandeurs des services de plumages de poulets.

Lundi 02 juin 2025. L’abattoir des volailles de Garoua affiche fière allure. Le climat est clément. La journée est moins ensoleillée que d’habitude. Il est 10 heures. Les plumeurs sont à l’œuvre. Dans un coin, un feu dans des foyers. Sur chaque foyer, un vieux fût noirci par les flammes et recouvert de graisses est placé. Des plumes de poulets jonchent le sol. Du sang et de l’eau mêlée recouvrent le sol. Une vingtaine de récipients déchirés, vieux et sales disposées à l’entrée de cette pièce, tandis que les autres sont posés vers le recoin gauche de la salle. Parmi ces récipients, ceux en matière plastiques contiennent des poulets déjà plumés.

Les murs de cette enceinte qui font office de lieu de travail de ces plumeurs, sont noircis par ces flammes. Une odeur de pourriture d’excrément, envahit la pièce soudainement. C’est qu’un jeune vient de verser les excréments d’un poulet presque plumé. D’un geste rapide, il vide l’intérieur de la volaille. L’oiseau vidé, est ensuite trempé dans un sceau d’eau. Et, c’est à l’aide d’un couteau que le reste de plume de l’animal est enlevée.  « Lorsque vous plumez avec les mains, il reste toujours de petites plumes encrées dans la peau du poulet. Il faut donc le racler avec du couteau, pour rendre le poulet plus propre comme le demande nos clients », explique Hamza, plumeur à l’abattoir des volailles de Garoua.

La conversation avec ce dernier est interrompue. Hamza verse les poulets déjà plumés sur le comptoir et le jeune accoure pour attraper de la volaille repérée de loin entre les mains d’un client qui se pointe à l’entrée du marché. « Ici, c’est la bataille. Si tu es mou, tu vas rentrer sans rien faire », lance ce jeune qui, visiblement, a franchi la trentaine. Il est rejoint quelques secondes plus tard par un autre plumeur pour faire les décomptes. Celui-ci, transmet les indications à suivre pour la livraison de leurs poulets avant l’empaquetage. Et, pendant que cette équipe s’empresse pour la livraison, les activités de plumage continuent de battre son plein dans l’enceinte de l’abattoir des volailles de Garoua.

A l’opposé de cette pièce, un jeune homme vêtu de pantalon jean et de bottes déverse des poulets encore vivants. Ces volailles sont empaquetées dans l’un des récipients déjà entaché de sang et d’excrément de poules. Malgré l’odeur de « pipi » qui se dégage dans les toilettes publiques d’à côté, érigés tout près de l’abattoir, les plumeurs restent imperturbables dans leurs activités. Curieusement, l’échange de sourire est plutôt convivial avec des personnes qui viennent se soulager dans ce coin.

Les poulets vivants entassés, sont par la suite débarrassés de leurs têtes. Une opération sélective qui n’est pas autorisé à tous les plumeurs. En effet, dans cet abattoir, trois hommes âgés d’une cinquantaine d’année sont chargés d’immoler les volailles. Les pattes et les ailles de l’oiseau sont solidement tenus par le plumeur. « C’est pour éviter que l’animal ne puisse se débattre et mais de mourir dans le calme », lance ironiquement Oumarou, plumeur. Pendant que les poulets sont tués, un fut rempli d’eau est porté en ébullition. « Quand l’eau est prête, nous versons les poulets à l’intérieure et on remue, ensuite on les sort de l’eau et on commence le plumage », explique Sali, plumeur de poulet depuis près de 3 ans.

Plumer la volaille est un exercice certes banal, mais aujourd’hui, cet acte prend de l’ampleur dans plusieurs espaces marchands. Dans la plupart des lieux de vente de la volaille, notamment poulets, canards, pigeons, etc., un abattoir y est installé comme c’est le cas au grand marché de volaille de Garoua. « Il y a quelques années, les poulets se plumaient dans l’espace domestique. Le plumage de poulets ne faisait pas l’objet d’un métier encore moins d’une activité génératrice de revenus. Il était considéré comme une tâche culinaire, de l’intérieur car la ménagère achetait son poulet au marché et rentrait le plumer à la maison, dans sa cuisine. De nos jours, le nettoyage de volaille sort de cet espace privé domestique qui lui était réservé pour s’implanter dans les marchés de volaille non seulement pour faire l’objet d’un métier mais aussi pour devenir une activité rentable qui fait le bonheur de la plupart des jeunes sous scolarisés », a confié Sarki Bouba, responsable de l’abattoir des volailles de Garoua.

L’abattoir des volailles de Garoua est ancien de plusieurs décennies. Malgré le manque de document pouvant retracer sa date exacte de création, les sociétaires des lieux ont une petite idée de sa durée. « Cet abattoir peut avoir 30 ans et plus. Mais, je ne maîtrise pas l’année son année de création. Moi je suis ici depuis 25 ans. Je venais travailler avec mon père qui a fait environ dix ans », relate Sarki Bouba.

Travail à la chaîne

La volaille avant son empaquetage passe par plusieurs ateliers. Après l’atelier d’immolation et de plumage, place celui du rinçage. En effet, les poulets plumés, sont par la suite transmis à l’équipe en charge du rinçage des poulets avant de les empaqueter à l’atelier dédié.  Le prix du plumage d’un poulet est de 100 F CFA. Dans l’organisation interne de l’abattoir, une somme de 25 F CFA y est prélevée pour l’entretien du bâtiment et le plumeur gagne effectivement 75 F CFA par poulet.

Pour les 50 poulets qu’a plumés la veille, Hamza a déjà empoché 3 750 F CFA à la fin de la journée. L’on apprend auprès de ces plumeurs, qu’ils peuvent plumer entre 50 et 100 poulets par jour. Des revenus journaliers pareils, ils peuvent en faire tous les jours, même pendant les périodes mortes pour certain. « Le jour où il n’y a pas d’activité, nous pouvons faire au moins 50 poulets par jour », affirme Saidou, un autre plumeur. Pour cette seule journée du lundi 05 mai 2025, il a en déjà fait 70 poulets, cet après-midi, d’où la rondelette somme de 5250FCFA empochée.

Activités annexes

A côté des plumeurs, des femmes s’occupent des organes internes. C’est une autre activité lucrative née grâce à l’abattoir des volailles de Garoua. En effet, des jeunes femmes achètent les boyaux, les pattes et les têtes des poulets pour les revendre après avoir pris soin de les nettoyer. C’est le cas de Nadège, habitante du quartier Roumdé Adjia : « Je viens acheter les organes, la tête et les pattes de poulets ici chaque jour. Je les nettoie sur place puis j’attache la tête et les pattes avec les intestins. Je passe à la cuisson et je vends le soir à 200FCFA. Je trouve mon compte ». Cette activité connexe recrute un nombre important de femmes à l’abattoir des volailles de Garoua.

Des habitants de la ville de Garoua en ont pris goût aux services offerts par l’abattoir des volailles. Pas besoin de nettoyer le poulet à la maison.  Delphine justifie qu’elle veut gagner du temps afin de faire autre chose : « j’ai toujours nettoyé mon poulet ici après l’achat. Cela me permet de gagner en temps. Une fois arrivée à la maison, je découpe, je lave et puis je passe à la cuisson. Généralement, j’achète plusieurs poulets pour le mois. Une partie est gardée au frigo ». Si certains préfèrent nettoyer leur poulet à l’abattoir, ce n’est pas le cas pour une franche de la population. « Je ne fais pas nettoyer mon poulet à l’abattoir. Mes enfants s’en occupent à la maison » affirme Christine.

La clientèle

La clientèle des plumeurs est plutôt variée. Elle mobilise les ménages, les restaurateurs, les hôteliers et les supermarchés.  « Lorsque nous avons de grandes quantités de poulets, c’est pour livrer dans les restaurants, certains nous passent directement les commandes, on achète les poulets, on nettoie et on livre à domicile », explique l’un d’entre eux.

Pour la plupart, c’est en effet, grâce à ces gros clients externes qu’ils engrangent de gros bénéfices dans le plumage de la volaille. Aussi rudesse que peut être leur travail, ces plumeurs sont solidaires. Ainsi, certaines grosses commandes peuvent se partager et se faire en groupe pour faciliter le travail et livrer la marchandise à temps et à l’heure convenue avec les clients, Djafarou, plumeur.

A en croire ce dernier, c’est généralement pendant les périodes de fête notamment, celles de fin d’année que les commandes abondent. Pendant cette période, ils peuvent assurer le plumage de près de trois clients par jour, soit environ 150 à 300 poulets. « En ce moment, il est important de travailler en équipe pour que le travail aille vite », affirme Sarki Bouba, responsable de l’abattoir des volailles de Garoua.

Concurrence

L’activité de des plumeurs fait concurrence aux grandes fermes, qui possèdent des outils modernes pour le plumage de poulets. Car des fois, ces grandes structures font souvent appel aux services de ces petits plumeurs de volaille. « Nous y allons souvent dans ces grandes fermes pour plumer les poulets », révèle l’un des plumeurs.

Malgré les revenus liés à cette activité, nombreux sont les plumeurs de volailles qui souhaitent abandonner ce travail. Car, pour la plupart, ce métier ne les satisfait pas entièrement. Cela dit, ces derniers rencontrent plusieurs difficultés dans l’abattage des oiseaux. Notamment, des cas de vols, opérés par des malfrats dans les cages des volailles. Les pertes sont aussi enregistrées. « Lorsque l’eau que nous avons porté à ébullition deviens trop chaude, la peau du poulet devient trop cuite et s’arrache quand nous les plumons. Et, les clients refusent de prendre ce type de poulets », explique André, plumeur depuis 10 ans à l’abattoir des volailles du grand marché de Garoua.

Bien plus, les plumeurs soutiennent qu’«il faut gérer les différends avec les clients, qui, après le plumage de leurs poulets, refusent de reconnaitre leur animal remis pour le travail. Ces genres de situations arrivent très souvent et c’est lorsque le client est pressé ». En outre, le manque d’outil de travail, notamment les gans, et les bottes, handicape également l’activité des plumeurs.

Dans les équipes de plumeurs qui inondent cet abattoir, l’on y retrouve des jeunes diplômés, contraints de se rabattre dans cette activité encore dans l’informelle. Sadou, titulaire d’une Licence en droit à l’université de Garoua, exerce cette activité depuis près de 7 ans.  « Nous exerçons dans l’informel. Ce que nous gagnons n’est pas très signifiant. Mais ici, contrairement ailleurs, nous sommes libres d’exercer, on peut venir au travail quand on veut et on repart quand cela nous enchante. Le travail est individuel, nous essayons de combler nos quotidiens en attendant le meilleur », relève-t-il.

Le plumage de poulet fait partie des métiers de la « débrouille » à l’abattoir des volailles de Garoua. D’après le responsable des lieux, c’est un métier exercé particulièrement par les jeunes dont l’âge oscille entre 15 et 35 et le niveau scolaire va du CM2 au Bacc+1. « Les jeunes qui viennent ici vivent soit seul, en couple ou même en famille. L’hypothèse y afférente a été que les conditions de vie s’avèrent de plus en plus difficiles dans un contexte de pauvreté et face aux problèmes de chômage de plus en plus accru, les jeunes trouvent d’autres moyens de subsistance en s’impliquant dans le développement des activités informelles notamment le plumage des poulets. », a souligné Sarki Bouba.

Condition de travail

Le développement de cette activité et son opérationnalisation ne va pas sans créer un environnement malsain et conduit également à des problèmes de santé pour ces travailleurs indépendants. Des lieux de travail situés au cœur de la promiscuité et de l’insalubrité où coulent et stagnent les eaux usées et marécageuses. Travaillant dans des conditions non saines, avec des équipements accusant une insuffisance d’adaptation, ceux-ci se plaignent entre autres des odeurs nauséabondes, des blessures, des problèmes pulmonaires, etc.

Les plumeurs de volailles sont exposés aux problèmes de santé liés à l’exercice de leur métier. Il s’agit des maladies animales, des accidents lors de l’utilisation du matériel de travail et les infections des voies respiratoires entrainées par les odeurs des déchets sur lesquels ils travaillent. Aussi, ces travailleurs ne respectent pas toujours les techniques de gestion de l’environnement, notamment la gestion des eaux usées et des déchets, ce qui les expose davantage aux maladies et aux infections.

Ahmed Mba’a

Observateur Septentrion

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